Et si Freud avait raison...
Et si la science donnait raison à Freud ?
À mesure qu’ils avancent dans l’exploration de la machinerie cérébrale, les neurobiologistes découvrent qu’elle obéit à des lois beaucoup plus complexes qu’ils ne l’imaginaient. Et que la vie mentale dont elle est le terrain confirme, des rêves au langage ou à l’imagination, nombre des intuitions du père de la psychanalyse. La fin, peut-être, d’une vieille querelle.
Casque de réalité virtuelle vissé sur la tête, un homme en survêtement avance à tâtons dans une pièce plongée dans la pénombre au deuxième étage d’un pavillon de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. André, 40 ans, souffre depuis des années d’une phobie maladive des hauteurs : il panique à l’idée de s’approcher d’une fenêtre ou de traverser un pont. Médicaments, psychothérapies, il a tenté sans succès tous les traitements avant d’arriver ici, pour essayer de conjurer sa peur au milieu d’un paysage artificiel en trois dimensions. Depuis quelques minutes, front en sueur et gestes hésitants, il avance péniblement sur un chemin escarpé au bord d’une falaise, guidé par la voix du thérapeute qui l’encourage dans les écouteurs : « Allez-y, avancez encore quelques pas, vous pouvez y arriver. »
Bon anniversaire, cher Sigmund Freud ! Le père de la psychanalyse, dont on fêtait, le 6 mai, la naissance, il y a cent cinquante ans, doit se retourner dans sa tombe. Les neurobiologistes, qu’il avait toujours tenus en piètre estime, viennent désormais empiéter sur son territoire. Ils ne se contentent plus de soigner les lésions cérébrales, la maladie d’Alzheimer ou celle de Parkinson, voilà qu’ils s’intéressent à des troubles apparemment non organiques qui relevaient jusque-là surtout du divan des analystes. Comme les phobies, les obsessions, ou encore la dépression, la pathologie mentale la plus répandue, que des médecins canadiens ont entrepris de soigner à l’aide d’électrodes implantées dans le cerveau.
Les chercheurs de l’université de Toronto ont en effet localisé un défaut d’activité dans des aires limbiques des patients neurasthéniques, dans une zone qui commande la satisfaction des besoins fondamentaux comme l’appétit, la libido et le sommeil. Ils ont proposé à des patients gravement dépressifs, rescapés du Prozac et des cabinets de psy, de les opérer pour installer dans cette zone un stimulateur électrique relié à un pacemaker - selon une technique mise au point pour arrêter les tremblements des parkinsoniens - afin de redonner du tonus à leurs neurones fatigués. Ces derniers mois, 12 malades ont été « branchés », dont 8 montrent les signes d’une nette amélioration.
Les « neuros » auraient-ils définitivement pris le dessus sur les « psys » ? À première vue, tout le laisse penser - mais les apparences peuvent être trompeuses. Depuis plus d’un siècle, ces frères ennemis n’ont cessé de se tourner le dos ou de s’affronter par doctrines interposées. Freud avait été un brillant neurologue dans sa jeunesse, avant d’abandonner brutalement cette voie et de mettre à l’index une bonne partie de ses écrits. Considérant que cette discipline balbutiante ne pouvait expliquer le fonctionnement de la pensée, il a préféré en chercher les rouages, non pas dans la machinerie cérébrale, mais à travers la parole de ses patients. Ses héritiers se sont repliés sur le dogme de l’inconscient en continuant à bouder les neurosciences, considérées comme réductionnistes et incapables de dire quoi que ce soit sur les émotions, la personnalité, la motivation.
De leur côté, les scientifiques « durs » ont eu le même mouvement de rejet envers la théorie freudienne, jugée bavarde et fumeuse, défendant l’idée d’un « homme neuronal », produit de sa biologie et programmé pour penser, en promettant même de « tordre le cou aux beaux discours de la psychanalyse », comme l’a écrit l’un des pontes français de la discipline, Jean-Pierre Changeux.
Source : L'Expresse du 11 mai 2006
( je sais c'est un article long mais interessant... à lire...)